16.05.2024

Entretien avec le juge administratif fédéral Marc Steiner

Bonjour Monsieur Steiner. Depuis de nombreuses années, vous vous êtes engagé avec beaucoup de persévérance et d’élan pour une révision du droit des marchés publics. En 2021, votre persévérance a finalement été récompensée – la nouvelle loi fédérale sur les marchés publics (LMP) est entrée en vigueur au niveau fédéral et a donné une nouvelle orientation au droit des marchés publics. Au lieu du prix, l’accent est désormais mis sur la qualité, dont fait partie la durabilité. Ce changement de paradigme favorise l’utilisation du bois en tant que matériau de construction.
Copyright: Anna Katharina Scheidegger

 

Nous aimerions maintenant savoir ce que cette modification de la loi signifie en particulier pour le bois issu de la sylviculture durable ?
Ce sont surtout les associations économiques et notamment l’industrie du bois qui ont fait preuve de persévérance. Mais il faut d’abord voir le contexte plus large. Depuis le 1er janvier 2022, l’ordonnance sur le commerce du bois (OCB) interdit l’importation d’arbres abattus illégalement et des produits en bois correspondants. C’est déjà une étape importante. Parallèlement, l’ordonnance du 4 juin 2010 sur la déclaration concernant le bois et les produits dérivés du bois est toujours en vigueur. Ces actes législatifs s’appliquent également aux chaînes d’approvisionnement privées. Cela signifie pour le secteur public qu’il doit faire plus que respecter ces décrets afin de remplir son rôle d’exemple, souligné par le Conseil fédéral dans son message relatif à la loi sur les marchés publics ainsi que dans la stratégie d’achat de la Confédération.

Qu’apporte donc de plus le nouveau droit des marchés publics ?
La réforme du droit des marchés publics transpose la philosophie de la loi sur les forêts à l’ensemble du droit des marchés publics.

Comment cela ?
Conformément à l’art. 34b de la loi sur les forêts, la Confédération encourage, dans la mesure du possible, l’utilisation de bois produit de manière durable lors de la planification, de la construction et de l’exploitation de ses propres bâtiments et installations. Lors de l’acquisition de produits en bois, elle tient compte de la gestion durable et proche de la nature des forêts ainsi que de l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre. En d’autres termes, la Confédération ne doit acheter que du bois issu d’une gestion forestière durable. Ainsi, la loi sur les forêts a en fait anticipé la réforme du droit des marchés publics.

Et que dit maintenant la nouvelle loi sur les marchés publics ?
Il existe pour la Confédération la loi sur les marchés publics LMP et pour les cantons et les communes l’accord intercantonal sur les marchés publics AIMP. Ce qui est génial, c’est que ces textes sont presque identiques, ce qui signifie que le droit des marchés publics a (enfin) pu être harmonisé. La durabilité est désormais un objectif de la loi. Et la nouvelle formule d’adjudication, selon laquelle ce n’est plus l’offre économiquement la plus avantageuse qui est retenue, mais l’offre la plus avantageuse, est tout aussi importante. L’avarice n’est donc plus de mise.

Que signifie la nouvelle loi pour les produits en bois ?
Alors tout d’abord, la nouvelle loi (art. 12 al. 3) contient une obligation de tenir compte des normes écologiques minimales. Ainsi, l’ordonnance sur le commerce du bois fait partie de l’auto-déclaration à exiger de la part des fournisseurs en ce qui concerne le respect des normes minimales. Cela contribue déjà beaucoup à la sensibilisation.

Mais il doit être désormais possible de faire plus que cela !
Dans le nouveau droit des marchés publics comme dans l’ancien, la musique se joue dans les spécifications techniques et les critères d’attribution. Il est par exemple courant d’exiger dans le cadre des spécifications techniques que seul du bois issu de la sylviculture durable soit utilisé.

Quel est le rôle d’un certificat FSC dans ce contexte ?
En raison de sa diffusion, un certificat FSC est probablement la preuve la plus fréquemment utilisée que le bois utilisé provient d’une sylviculture durable. Selon les recommandations de durabilité de la Confédération, le FSC est un exemple classique de label environnemental attribué par un organisme indépendant et qui peut être consulté dans le cadre de la prescription de spécifications techniques.

L’autorité adjudicatrice peut-elle exiger directement un label FSC ou doit-elle accepter d’autres labels ?
L’avis le plus souvent exprimé à ce sujet est que le label « exemplaire » doit être mentionné à titre d’exemple, mais que d’autres labels doivent également être acceptés, par exemple avec la formule « ou équivalent ». Il est toutefois intéressant de se demander quel est le sens de la formule « ou équivalent ». Il s’agit de ne pas trop restreindre le marché des fournisseurs par une exigence. En d’autres termes, plus la part de marché d’un label est importante et plus ce label est répandu au niveau international, plus il est facile de défendre l’idée que le label peut être exigé directement. Ce qui est clair, à mon avis, dans le nouveau droit, c’est qu’un label attribué par un organisme indépendant peut être exigé dans tous les cas, ce qui exclut toute forme de certificat d’entreprise.

Il arrive régulièrement que des marchés exigeant le FSC dans l’appel d’offres soient attribués à des fournisseurs ne disposant pas du certificat FSC. Que faudrait-il pour éviter cela ?
Il arrive en effet parfois que le label de gestion environnementale ISO 14001 ou un label FSC soit exigé et qu’un soumissionnaire qui ne remplit pas ces conditions soit finalement retenu pour le prix. Dans ce cas, il faudrait même envisager de déposer un recours auprès du tribunal compétent.

Comment la loi sur les forêts s’inscrit-elle dans la loi fédérale et dans l’accord international GATT/OMC sur les marchés publics ?
Question très intéressante ! Le lobby du bois aurait aimé voir une formulation dans l’art. 34b de la loi sur les forêts, selon laquelle la Confédération doit acheter du bois suisse. Les libéraux ont alors fait remarquer que cela n’était pas compatible avec le droit des marchés publics de l’OMC. D’où le compromis selon lequel le bois doit provenir d’un approvisionnement durable. Cette logique se retrouve également dans la réforme du droit des marchés publics. Lorsque des acteurs motivés par le protectionnisme et l’ouverture du marché s’affrontent, la solution est souvent la durabilité.

L’un des critères d’attribution possibles est la durabilité, qui est en soi une notion assez floue. Existe-t-il des directives contraignantes pour les pouvoirs adjudicateurs sur la manière d’interpréter la notion de durabilité ? Si non, que faudrait-il de plus ?
Tout d’abord, il y a les recommandations sur le bois de la KBOB 2020/1. Dès l’examen d’aptitude, un projet de référence peut être demandé afin de s’assurer que le soumissionnaire a déjà participé dans le même rôle à une construction en bois de dimensions comparables. Les critères d’attribution permettent, dans la mesure où les prescriptions écologiques pour les produits en bois collé (par exemple en ce qui concerne le formaldéhyde) ne sont pas déjà contenues dans les spécifications techniques, de récompenser un collage plus écologique. Et puis, dans le cadre des critères d’attribution, on demande aussi des écobilans. Les pouvoirs publics et le secteur sont encore dans une phase d’adaptation.

50% du bois utilisé en Suisse et 70% des matériaux dérivés du bois utilisés dans le pays sont importés. Les projets de construction réalisés à 100% avec des matériaux en bois d’origine suisse sont extrêmement rares. Comment peut-on augmenter la part de bois domestique ?
Un très grand levier est l’utilisation de bois provenant de la propre forêt d’une commune ou d’un canton. En effet, l’adjudicateur public qui utilise son propre bois s’est « procuré » du bois suisse de manière tout à fait conforme au droit des marchés publics, en le mettant lui-même à disposition.

Actuellement, environ 10% des services d’adjudication de la Confédération lancent des appels d’offres pour des marchés de construction avec le critère d’adjudication de la durabilité, la proportion est plus faible dans les cantons. Que faut-il pour que le changement de paradigme trouve son chemin dans la pratique ?
Pour être juste, il faut dire que le nouveau droit est entré en vigueur plus tard dans les cantons qu’au niveau fédéral. Mais ici, le lobbying du FSC et de l’industrie du bois doit être mené à la louche. Mais cela en vaut la peine. Le dialogue sectoriel entre les pouvoirs adjudicateurs et les associations économiques est délibérément prévu comme un instrument important de mise en œuvre de la réforme du droit des marchés publics. Sur le plan juridique, les feux sont généralement au vert. Il ne reste plus qu’à changer l’état d’esprit et donc la culture de l’adjudication. Mettons-nous au travail !

Si vous aviez un souhait à formuler concernant la pratique d’adjudication des pouvoirs publics, quel serait-il ?
J’aimerais que la « big picture » du thème de l’achat de bois durable soit communiquée de manière plus offensive par les décideurs. Nous ne sommes pas seulement confrontés à un changement de paradigme dans le domaine des marchés publics. Au contraire, la transition énergétique et la modification du cadre juridique en faveur de l’économie circulaire se déroulent en parallèle, ce qui aura également des répercussions sur le droit des marchés publics de la Confédération. Ensuite, nous avons voté le 18 juin 2023 sur la loi sur le climat. L’article 10 stipule clairement que le secteur public a un rôle d’exemple à jouer dans la réalisation des objectifs climatiques. Le fait est que sans une véritable transformation des marchés publics, ni le tournant énergétique, ni l’économie circulaire, ni la politique climatique ne pourront être mis en place.

Merci beaucoup, Monsieur Steiner, pour cette interview captivante. Nous vous souhaitons le meilleur pour votre avenir personnel ainsi que pour la poursuite de votre engagement en faveur d’une pratique d’adjudication plus durable !

Cette interview fait partie de notre série d’articles sur le FSC dans les soumissions de construction en bois.